Pedro et son quintette romantique

J’ai continué à descendre Leavenworth Street à pied sur trois ou quatre cents mètres pour aller retrouver mon client, et je me suis rappelé le rêve que j’avais fait la nuit d’avant. J’avais rêvé que j’étais un cuisinier célèbre originaire du Sud de la frontière et que j’avais ouvert un restaurant mexicain à Babylone spécialisé dans les chiles relennos et les enchilladas au fromage.

C’est devenu le restaurant le plus connu de Babylone.

Il était près des Jardins Suspendus et la meilleure société de Babylone y venait manger. Nabuchodonosor y venait souvent, mais il n’aimait pas tellement les spécialités de la maison. Il préférait les tacos. Parfois il était là, attablé, un dans chaque main.

Quel type ! Tout le temps en train de blaguer et de faire de grands gestes aux gens avec ses tacos.

Nana-Dirat travaillait là comme danseuse.

Dans le restaurant, il y avait une estrade sur laquelle se produisait un petit orchestre typique ; Pedro et son Quintette Romantique.

Ils jouaient vraiment du tonnerre et quand Nana-Dirat dansait, tout le monde reprenait de la bière pour se rafraîchir un peu. On aurait dit un pétard mexicain en train de danser dans l’ancienne Babylone.

Aïe, aïe, aïe : tout à coup, je me suis rendu compte qu’en descendant la rue pour aller rencontrer mon client je m’étais remis à penser à Babylone. Grossière erreur.

J’ai immédiatement fait cesser tout ça.

J’ai écrasé les freins.

Faut faire attention. Peux pas me permettre de me laisser entraîner par Babylone. Tout allait trop bien. Babylone, on verrait plus tard. Alors je me suis réorganisé la tête de manière à me concentrer sur autre chose, et la chose à laquelle j’ai choisi de penser, ç’a été mes chaussures : il m’en fallait des neuves ; celles que je portais étaient complètement usées.